Interview de Pr Naudin

TOTEM OU TABOU

Transcription d’une interview avec le Pr. Naudin, Chef de service au département de Psychiatrie de l’hôpital Ste Margueritte sur l’oeuvre de Lise Couzinier « Le vrai ciel, c’est celui que vous voyez au fond de l’eau » ou « les plongeurs de l’imaginaire ».

Sur le choix de l’artiste et de son projet… Le thème du nageur dans le projet de Lise m’a semblé amusant pour le projet architectural souvent appelé le bateau. Mettre des nageurs autour d’un bateau ne me paraissait pas illogique, bien que l’association d’idées soit très superficielle. (A propos de superficialité …) Le projet architectural avait pensé à bien des dimensions du bâtiment, la transparence, le volume, la hauteur, la répartition fonctionnelle des lieux, etc. Le projet des nageurs de Lise questionne une dimension de l’espace laissé en suspens par les architectes, celle de la surface. Le nageur est à moitié là en surface parce qu’il est à moitié en dessous. C’est passionnant, c’est tellement métaphorique. Ces plongeurs sont une métaphore du statut de l’inconscient (et pour cette raison ils peuvent être mal perçus, voire même rejetés), ils présentifient le symptôme, l’inconscient, le machin, quelque chose qui fait retour, ressort à la surface, devient évident, sous les yeux de tous comme la lettre volée d’Edgar A. Poe commentée par Lacan. J’aime bien ces corps à demi-invisibles, enterrés pour les uns, iceberg pour d’autres, nageurs pour la plupart. C’est tellement fort dans un lieu comme ici et si ça dérange, après tout c’est ça la fonction de l’art, c’est de déranger, de questionner, de rendre meilleur en dérangeant.

Appréhension soulevée par le projet artistique… Certains soignants craignent des réactions de peur de la part de nos patients schizophrènes devant des « demi-corps ». Jusqu’à présent, la réaction des patients qui participent aux ateliers semble infirmer ces craintes. Aucun d’eux ne voit des demi-corps effrayants mais une création artistique. Je pense que quand les sculptures seront installées, la plupart des patients vont se régaler, comme nous. On projette des choses sur les patients en psychiatrie en les pensant, a priori, différents. On s’interroge peu sur ce que nous pouvons avoir en commun.

Art et thérapie… J’ai un jugement plutôt négatif de l’art thérapeutique. Je me refuse à penser que l’art puisse servir à quelque chose. Justement, parce que ça ne sert à rien, que ça échappe à un esprit de système, l’art apporte quelque chose aux patients et notamment aux quatre patients qui ont régulièrement participé à l’atelier. L’objet lui-même (la création) apportera plus tard un souffle de liberté. Cela ne rendra certainement pas le bâtiment plus profond ou plus beau mais le rendra meilleur.

L’art n’a pas de finalité, il est là pour questionner. Toutefois, je peux considérer la création artistique comme une médiation, un processus porteur de quelque chose de réparateur, mais à condition de pouvoir être fracturée. Pour fonctionner, le projet de médiation artistique ne doit pas être a priori déjà incassable, déjà défini et déjà parfait. J’aurais été très inquiet de voir arriver un projet fini. Là ce n’est pas fini donc ça peut continuer. En mieux ou en plus mal, ce n’est pas le plus important. Pour qu’un patient puisse se projeter dans un projet de création ou une œuvre, il faut que ça puisse être en miettes, car ce qui est intéressant c’est de rassembler. On ne peut réparer que ce qui est en miettes. C’est le fait d’être en miettes qui compte pour que ça puisse être une médiation. Les plongeurs, ces demi-personnes qui sont toutes bleues et qui parlent avec leurs yeux ont toutes les caractéristiques voulues pour inciter à se projeter dans l’œuvre et vouloir la réparer, la rassembler.

Les retours sur les ateliers… Je ne suis pas allé à l’atelier, par manque de temps certes, mais aussi par décision personnelle. Comme je le disais, je ne pense pas que l’art soit une pratique thérapeutique, je ne pense donc pas que ce qui s’y passe regarde le psychiatre. Ce qui prime pour moi c’est le contact de l’artiste avec les patients. Or, les retours que m’en font les patients sont plutôt enthousiastes. Christian, que je vois tous les quinze jours, me parle régulièrement de Lise et du travail qu’il fait. De plus, il fait des comparaisons avec les autres activités qu’il pratique et il trouve ça mieux que le reste parce qu’il peut dire ce qu’il veut, on accepte son originalité, on l’accepte tel qu’il est.

Totem or taboo

On the choice of the artist…

When Lise Couzinier came to present her project, there were two things that I liked immediately. There was her style to be, as a person, with a vivid spontaneousness that could help to communicate with the patients. Then and especially she did not want to use the patients for her work, she regarded their contribution as an essential part in her project. It is something she had insisted spontaneously. It also seemed to me that her desire to carry out this project, was a part of her work in a more profound way, more historical. It seems that she would like this experience, we had the impression that she would make something specific, and at the same time made by her and for a place with an aim. Therefore I considered it was a sincere artistic approach and that was this sincerity I liked.

And of her project…

 The theme of the swimmers in Lise Couzinier project was funny for the architectural project often called the boat. To put swimmers around a boat did not sound illogical, although the association of idea is very superficial. (In connection with superficiality…) The architectural project had thought of many dimensions of the building, transparency, volume, height, functional distribution of places etc. The swimmers of Lise Couzinier question a dimension of the space left out by the architects, the surface. The swimmer is half there because it is half hidden under. It is fascinating, it is so metaphorical. These divers are a metaphor of the status of the unconscious (and for this reason they can badly be perceived and even rejected), they represent symptom, the unconscious, the thing, something that comes back, arises on the surface, becomes obvious, under the eyes of all like the stolen letter of Edgar A. Poe commented on by Lacan. I like these bodies half invisible, buried for some, iceberg for others, swimmers for most of us. It is so strong in a place like that one and it they disturb, after all it is the function of art to disturb to question, to make better by disturbing.

Apprehension raised by the artistic project…

Some of the medical staff are afraid that it could raise reaction of fear among the patients on the basis of associations of idea like “it is building for the schizophrenics but the schizophrenics feel their body parceled, they will be very afraid to see half body”. Until now, the reaction of the patients who take part in the workshops seems to invalidate these fears. None of them see half frightening bodies but an artistic creation. I think that when the sculptures will be installed, the majority of the patients will enjoy them, like us. One projects things on the patients in psychiatry by thinking they are, a priori, different. One wonders little about what we can have in common.

 

 

 

 

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