Manifeste pour la planète de MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Manifeste pour la planète

« Un bras levé tel une branche au centre de l’image, droit comme un piquet, avec comme unique fruit un carton rouge, signe de sanction immédiate et déterminante pour la tournure des événements ».

Mexico 1968 : Tommie Smith et John Carlos, deux sprinters américains médaillés aux Jeux Olympiques, lèvent le poing au ciel pour protester contre la situation des afro-américains. Un geste qui fera date dans l’histoire du sport olympique.

Marseille 2015 : Lise Couzinier, artiste performer et scénographe, brandit un carton rouge pour dénoncer les paysages pollués par l’homme (exposition Envoyer & Recevoir). Un acte performatif et visuel en guise d’ADN.

Comment ne pas voir un rapprochement symbolique, une même énergie révolutionnaire ?

En se réappropriant le geste de l’arbitre sportif, Lise Couzinier annonce la couleur sans perdre de temps : à bas le jaune (trop tard, la planète a pris feu), place au rouge qui fait tâche dans la belle carte postale de notre monde. Le carton rouge sort de terre tout en faisant corps avec le paysage comme un ultime paradoxe. Depuis, l’idée artistique a fait son chemin et le concept a engendré d’autres actes, d’autres immersions, d’autres représentations factuelles de l’interactivité de la matière et de l’humain. Car l’œuvre de Lise Couzinier, à l’initiative du festival Arborescence à Aix-en-Provence dans les années 2000, a toujours été profondément marquée par son intérêt pour les liens intrinsèques entre l’art, la nature, les sciences et les nouvelles technologies. Notamment à travers l’expérimentation de procédés optiques et d’effets d’illusion mettant à mal notre perception du réel (L’écritoire à Vertiges avec Olivier Lubeck, miroirs et rondins de bois) ; à travers des installations végétales et vidéo (Il faut savoir s’arrêter, miradors, végétaux, eau) ; une sculpture contre-nature (De Sueur et d’Os, magnésie) ; des réalisations riches en symboles (Chapelet, aiguilles de Mélèze du Queyras) ; une sculpture thermo-réactive (Énergie fossile, plâtre, mousse expansive, acrylique). Et tant d’autres « gestes » encore au pouvoir magnétique…
Rouges encore sont ses dessins en écho. Accord majeur entre science et poésie dans les empreintes de doigts réalisées en encres végétales bouillonnant de globules vivantes. Dessins bicolores aveuglés par un jeu de filtres où le regard du spectateur est, une fois encore, invité à percer la surface des choses, véritable colonne vertébrale de ses recherches.

Taraudée depuis vingt ans par les questions écologiques, Lise Couzinier ne se définit pas comme photographe mais comme « faiseuse d’images » et met en scène son corps à la manière d’un rituel : juste un bras habillé d’un pull noir. Une sobriété qui sied à son discours éloquent et à la force de ses images. Un cri d’alarme.
Carton rouge, Fos-sur-Mer, 2019
Champ de colza OGM, Trets, 2016
Champ de blé transgénique, 2017
Boues rouges, Vitrolles, 2015
L’immersion du corps est violente, l’esthétique douce, le grain velouté.
La carte postale est trompeuse… mais n’est-ce pas le lot de toutes les cartes postales que de faire croire au bonheur absolu, au souvenir immaculé, à une rêverie éternelle ?

Son engagement demeure et ne faiblit pas, au contraire. Car Lise Couzinier ne se contente pas d’arbitrer le paysage – titre de son exposition à la galerie G à La Garde -, elle siffle la partie avec des jeunes du Lycée du Rempart dans le cadre de la manifestation L’Art Renouvelle le Lycée, le collège et la ville. Avec le soutien de Delphine Benoit, professeure de S.V.T., elle les incite à réfléchir sur l’environnement, à aiguiser leur regard, à renouer le dialogue avec la nature, à maitriser la technique photographique. À s’ouvrir à des questionnements profonds qui affleurent à la surface des Cartons rouges réalisés au Catalan, dans des espaces urbains abandonnés, des lieux désaffectés. Comme la piscine de Luminy, no man’s land oublié. Léa, Titouan, Amine, Lisa, Charles s’élèvent contre les déchets parsemés, dénoncent la précarité du SDF sur la plage, repèrent la fumée noire des bateaux de croisière, s’attristent d’un matelas et de couvertures abandonnés. Ils inventent, ensemble, un théâtre de l’absurde où la nature souillée par la présence humaine tente de reprendre ses droits, de faire tomber les murs de béton, recouvrant là le sable pollué, ici les graffitis désordonnés. Théâtre de l’absurde car une beauté sauvage se dégage de leurs Cartons rouges peuplés de leurs frêles silhouettes.
Ce sont les Vigies solidaires de lendemains qu’on leur souhaite meilleurs.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Mai 2019