Paloma (2004)

Adaptation de « Paloma, ma fille morte et l’été revenu », de Aline Schuman

Paloma©LiseCouzinier
Paloma©LiseCouzinier

Une intimité à couper le souffle dans un grand décor blanc, fait de drapés interminables dont on ne sait où ils commencent et où ils finissent. Décor dans lequel la comédienne se débat seule avec ce texte tragique. Une mère raconte la maladie fulgurante et la mort de sa petite fille alors âgée de 8 ans, sous un long drap qui dessine sa bouche, son visage blanc sans yeux, sa silhouette longiligne, tel un fantôme érigé comme une sculpture sur son socle, un lit « momie », pansé comme un être pour affronter la mort et garder un souvenir intact des moments de tendresse.La nature omniprésente dans le film projeté en fond de scène prend le dessus sur ce décor laiteux et le colore. Un coloriage débordant où le personnage se confond et disparaît sous la mer. Des herbes folles grandissent en accéléré, surviennent tels des virus agités… Envahi, le corps se défend survivre, la nature ne cesse de le surprendre, une course effrénée… Et les chemins complexes de la nature rejoignent ceux où véhicule notre sang, on perçoit ainsi la fusion. Des herbes se meurent et des êtres poussent….

Paloma©LiseCouzinier
Paloma©LiseCouzinier

Capture d’écran 2014-05-03 à 09.16.50Scénographie du spectacle « Paloma »

Texte d’Alain Simon, metteur en scène du Théâtre des Ateliers

Les grandes douleurs sont muettes et la perte d’un enfant est sans doute parmi toutes les douleurs celle qu’on tait le plus légitimement, car elle révèle un mouvement à l’envers du monde. Mais le théâtre est aussi l’art de l’indicible. C’est le lieu où les mots écrits parce qu’ils y sont prononcés parcourent l’espace sonore avec l’énergie de la profération propre à nous déloger des recoins de nos peurs archaïques. La Haute voix du théâtre rend la chose dite incontournable. Dans ce triptyque sur la parole limite, il m’a semblé important de proposer aux spectateurs ce texte d’Aline Schulman qui parle en écrivain de ce pays d’où l’on revient silencieux.

Quand on perd un enfant et que l’on continue à vivre, à rire, peut-être à plaisanter, les autres vous regardent comme un monstre comme quelqu’un de suspect : comment survivre à une telle horreur. À celui ou à celle qui a perdu un enfant on ne dit rien, on a trop peur ! Peur d’être maladroit, peur d’activer en soi une panique. Et cette impuissance qu’a l’autre à vous parler, il la retourne contre vous, semble vous en vouloir de l’avoir mis dans cette situation. Il en vient peut-être à vous fuir, vous perd de vue…
Alors il faut lui raconter ce voyage en enfer pour qu’il comprenne que ceux qui reviennent restent des humains, se raccrochant à tout ce qui peut donner l’impression que ce qui leur arrive n’est pas totalement absurde : on écoute celui qui vous dit que votre fille est la réincarnation d’un être qui avait besoin de ses sept années pour achever son karma, on achète les poèmes que Victor Hugo a écrits après la mort de sa fille. Dans le livre d’Aline Schulman, la mère pendant que sa fille est à l’hôpital, condamnée, continue à faire des projets d’avenir pour sa fille, elle est comme ces accidentés de la route qui veulent, bien que blessés gravement, absolument se relever et marcher pour rentrer chez eux comme si de rien n’était.
Ce travail limite, parce qu’à la frange du pathos possible, de la thérapie possible, (j’ai moi aussi perdu une fille de sept ans) m’intéresse parce qu’il requiert la prééminence absolue de l’art et de la forme qui doivent donner au propos sa dimension universelle._Sa place dans ce triptyque sur le théâtre de la parole limite avec Manque de Sarah Kane et le Théâtre des Paroles de Valère Novarina doit lui donner tout son sens. L’expérience racinienne d’Agathe Rouillier avec Jean-Louis Martinelli donne sa bonne dimension au propos.

Adaptation et mise en scène Alain SIMON
assisté de Bernard COHEN
Plasticienne scénographe Lise COUZINIER
Fabrication des décors Jacques BROSSIER
Lumières Syméon FIEULAINE

Avec Agathe ROUILLIER

Production Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Provence, en coproduction avec les 4 Saisons du Revest, et avec l’aide à la création du Conseil Régional Provence Alpes Côte d’Azur.

Création 2004 du Théâtre des Ateliers à Aix-en-Provence

Spectacle créé le 12 octobre 2004 à la Maison des Comoni au Revest-les-Eaux (Var)

Paloma (2004)

A breathtaking intimacy in a large white decor, made of endless drapes, we do not know where they begin nor where they end. Decor in which the actress is struggling alone with this tragic text. A mother tells the searing illness and the death of her daughter when she was then only 8 years old, under a long cloth that draws her mouth, her white face without eyes, her slender figure, like a ghost erected as a sculpture on its stand, a « mummy » bed, dressed as a being to face death and keep intact memories of tenderness moments. The ubiquitous nature in the film projected as a backdrop takes over this milky decor and colours it. An overflowing colouring where the character merges and disappears under the sea. The rank weeds grow in a speeded-up motion, appear such restless viruses… Overgrown, the body defends itself to survive, nature never ceases to surprise it, a frantic race… And the complex nature paths join those where our blood flows, we perceive then the fusion. Weeds are dying and beings are growing…

Excerpt of the text by Alain Simon, director of the Théâtre des Ateliers :

« Great sorrows are silent and the loss of a child is probably from all the pains, the ones that we keep silent the most legitimately, because they reveal a movement against the world. But drama is also the art of the unspeakable. This is the place where written words scour the sound space, because they are pronounced, with the energy of the uttering made to dislodge us from the corners of our archaic fears. The High voice of the theatre makes the thing unavoidable. In this triptych on the speech limit, it seemed important to me to offer the spectators this text by Aline Schulman who speaks as a writer about this land where we return silent.

When we lose a child but continue to live, laugh, perhaps joke, others look at you like a monster, like someone suspicious: how to survive such horror. To someone who has lost a child, we don’t say anything, we are too scared! Afraid to be awkward, afraid to trigger a panic within ourself. And because of this powerlessness from talking to you, the other turns it against you, seems to have a grudge against you for having put him or her in this situation. Maybe he/she ends up running away from you, losing sight of you … »

 

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