Lise Couzinier, lyrisme et brutalité

Lise Couzinier, lyrisme et brutalité

Première critique d’art par Elisa C. Maurin, BTS Design, Lycée Diderot à Marseille.

Installée à Marseille depuis deux ans, Lise Couzinier s’inscrit dans une thématique d’exploration plastique et d’évasion de l’esprit. Dans le cadre du Festival POC à Marseille, sa dernière exposition invite à le corps à rencontrer la matière. Dans un univers poétique, Lise Couzinier dialogue avec les surfaces, explore et voyage avec différents matériaux dans un éternel désir de conquête de nouveaux supports de réflexion. Pure source de création, la matière parle d’elle-même et investit notre imaginaire dans une approche qui, nous rappelle l’importance des éléments dans un monde en perpétuel changement. Une rencontre entre le corps et la matière, entre les éléments et le temps, entre la naïveté et la dénonciation. Une artiste à l’écoute du monde qui retranscrit dans ses œuvres le lien palpable, mais fragile, entre l’homme et les éléments qui l’entourent.

Un vieil appartement marseillais, un petit jardin

intérieur, un atelier de céramique, telles sont les premières choses que l’on voit de l’atelier de Lise Couzinier. En effet, elle partage son appartement avec d’autres artistes et dispose de son propre atelier au 1er étage. Au milieu du jardin, autour d’un arbre, des paillettes déposées au sol qui l’entourent et le posent dans son environnement. Un premier contact avec l’artiste, une entrée dans son univers poétique. A l’étage, dans une pièce donnant sur le jardin, un rond de sable pailleté au dessus des morceaux de résines sont suspendus à des fils transparents. Une étrange installation domine le reste de l’appartement. Telle une roche plutonique, centrée et imposante, « Énergie fossile » est une œuvre thermo-réactive qui, au toucher, se colore et se transforme. Tout autour, des photos accrochées aux murs, des tableaux et des pièces aux formes abstraites, blanches noires ou transparentes, différents éléments de recherches. Une dimension lyrique, une touche de rêve et un soupçon de naïveté, «Le Chant des Surfaces» est une exposition qui attire et qui fascine. Issue de l’École Supérieure d’Arts d’Aix-en-Provence, Lise Couzinier collabore à la création de manifestations artistiques et culturelles depuis plusieurs années à Aix et à Marseille. Elle dispose de multiples domaines d’interventions tels que les arts visuels, le multimédia, le théâtre, la littérature ou le cinéma. En 2000, elle programme le festival Arborescence, une rencontre entre travaux artistiques, performances, expositions, films, musique et débats qui questionnent l’avenir du monde en considérant la thématique qu’elle s’était fixée: «Je me suis toujours attachée à défendre une ligne artistique solide et basée sur les corrélations possibles entre Art/Nature et Nouvelles Technologies». Une exigence qui témoigne de ses enjeux professionnels et artistiques, puisque Lise mène en parallèle un parcours de plasticienne et scénographe qui se base essentiellement sur des problématiques liées au monde végétal et organique.

Quand la science rencontre la poésie

Difficile de nier qu’au sein de notre inconscient, l’univers scientifique est presque hermétique à toute forme de manifestation créative ou artistique. Lise Couzinier contredit cette distinction populaire. Son travail de plasticienne la pousse explorer toujours plus loin ses axes de recherches en confrontant la matière à toute sorte de rencontre. Déformation, pression, lumière, chaleur, humidité, elle ne cesse de manipuler différents matériaux qui subissent inévitablement les lois établies par la physique. Ces surfaces, véritable réceptacle des possibles d’expérimentations plastiques et sensibles, deviennent des allégories de la vie . «J’effectue dans mon processus de création une recherche quasi-archéologique et géologique. J’observe et je m’inspire de la nature, du vivant ainsi que de ses mécanismes.» «Énergie fossile» est à l’image de cette démarche. Recouverte d’une peinture thermo-réactive, cette pierre noire implantée dans toute sa brutalité raisonne en nous comme un fragment d’énergie minérale, une puissance immobile à laquelle la roche a prêté son inertie. Témoignage du temps qui s’écoule, chargée de mémoire et d’une force magnétique, elle attire et intrigue par sa radicalité. Un renvoi à la mort qui cohabite avec la vie, car l’œuvre est active. Plus justement, réactive au contact du public par sa sensibilité à la chaleur. Une douce découverte bercée de poésie qui enchante le public. Réaction bio- chimique ou réponse sensible à notre curiosité, «Énergie fossile» est à la fois un morceau de physique originel et une approche sensible et attractive des questionnements existentiels. « J’effectue dans mon processus de création une recherche quasi- archéologique et géologique. » Autre point fort de son travail, son tableau peint à l’eau sur plaque de métal. «L’inconnue de la Seine», à qui l’artiste rend hommage, y figure telle une indéniable trace du temps et de la mort, gravée dans son support. «Hors de l’eau» est un écho à la mort cette inconnue noyée dans le fleuve parisien au XIXè siècle. Pour ce faire, Lise a joué de l’horizontalité pour peindre avec de l’eau, laissant le temps dévoiler la rouille et ainsi suggérer un visage, des ombres, une expression. Un travail qui use d’un processus naturel pour laisser la surface devenir matière, en combinant le passage du temps avec la rencontre directe entre l’artiste et son support : attente, frottement, essuyage, grattage, des gestes semi-contrôlés qui laissant la spontanéité de l’oxydation laisser ses marques. Une réponse pertinente tant dans la démarche plasticienne que dans l’évocation du destin gorgé d’eau de l’inconnue. D’autant plus que le visage harmonieux de la victime rappelle par son demi-sourire que sa sérénité face à la mort la plonge dans un état proche de la rêverie et la raccroche à la vie.

La spontanéité au service de la création

Quel est l’artiste qui, dans sa démarche créative, jouit et use d’une maîtrise totale de ses explorations? Le hasard porte ses fruits, au même titre que la spontanéité. Lise Couzinier le sait. Se saisissant de chaque opportunité plastique et quasi-chimique, elle rebondit sur de nouvelles pistes pour enrichir sa réflexion. Elle apprécie la dimension aléatoire des choses, qui lui permet de vivre de nouvelles expériences artistiques, et d’exploiter son travail au maximum. L’utilisation de matériaux dans leur brutalité implique qu’on y accepte leurs exigences physiques. Mieux encore, pourquoi ne pas jouer de ces changements? L’artiste rapproche l’art et son public, recherche le contact, incite au toucher, quitte à jouer des dommages matériels subis par la matière pour renforcer la rencontre entre l’œuvre et le spectateur. Laissant place à la créativité la plus intuitive, Lise nous révèle un univers, une poésie intérieure qui nous captive. «Volution» en est l’exemple. Un rond de sable volcanique investi par les paillettes, des solides résineux flottant tels des fragments galactiques. Au sol, des cercles suggérées dans le sable telles des ondes se propageant à l’infini. Une œuvre spontanée, intuitive et attractive, qui donne un ton lyrique à l’exposition. Faisant écho au travail fait autour de l’arbre, elle évoque par sa forme circulaire et ses éléments défiant la pesanteur, les immensités du monde. L’océan, l’espace, des profondeurs qui nous envoûtent et dévoilent leur dimension irréelle.

Naïveté et dénonciation

Si le travail de l’artiste demeure teinté de poésie et de rêverie, il n’en est pas moins chargé de sens. «Le vocabulaire ludique et naïf que j’utilise contraste avec le sens que je donne à mon travail». Pleines d’innocence, les paillettes utilisées à plusieurs reprises sont des éléments relatifs à l’enfance mais aussi au superficiel. Une manière de distinguer ce qui est propre à l’homme de l’indéniable vérité de la nature, de repenser le lien entre l’humanité et les éléments qui l’entourent. Des matériaux bruts et un travail toute en légèreté, une association qui, d’un regard critique, met en contradiction deux univers en constante cohabitation. « Le vocabulaire ludique et naïf que j’utilise contraste avec le sens que je donne à mon travail. » Son exposition précédente, «L’eau est-elle la même, des deux côtés du bateau?» axée sur le voyage et l’élément aquatique qui y prête son nom reprend le vocabulaire plastique de l’artiste. Délicatesse, lyrisme, voyage, cette fois ci exprimés par l’origami, principal axe de recherche plastique. Des bateaux de papier dignes de jeux d’enfants, quoi de plus innocent? Pourtant, l’exposition questionne l’impact de l’homme sur l’environnement, le lien entre l’homme et l’eau, son rapport à la mort. Oeuvre après œuvre, le voyage est appréhendé différemment, l’eau représentée de diverses manières, le tout dans une mélancolie qui trahit subtilement un désir de dénonciation. Lise Couzinier n’en oublie pas la recherche sur la matière, d’où l’exploitation de l’élément eau, mais également du feu. L’élément aqueux, mis au contact de l’homme, soulève des questionnements qui le renvoient à sa propre condition. «Les hommes sont-ils comme les fleuves ? Ils naissent tout petit et au fur et à mesure qu’ils avancent dans la vie, ils grandissent par la force des petits ruisseaux qui viennent s’y jeter avant de se perdre un jour dans le grand océan.» Une problématique qui envisage l’eau comme le miroir éternel de notre existence. «Le Chant des Surfaces», qui reprend certaines bases de réflexion liées à l’eau, manipule les surfaces, notre matière grise et notre sensibilité, s’ouvrant à de nombreuses interprétations. Une approche plastique qui fait appel à notre imagination, laissant notre émotivité donner un sens à chaque œuvre. Mais loin de nos interventions personnelles, l’exposition fait résonner en nous, comme une prise de conscience, la présence inconditionnelle de cette matière et son rapport à l’homme. Que nous raconte la matière, la nature, l’environnement? Lise Couzinier, par une discrète contestation, nous livre son regard critique sur le monde. Plongée dans l’actualité artistique, elle voit grand, se projète et déborde d’idées. Actuellement en collaboration avec des artistes portugais, exposant à Lisbonne et invitée à Turin, Lise Couzinier pourrait bien se déployer.

Première critique d’art par Elisa C. Maurin, BTS Design, Lycée Diderot Marseille

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